Fonte: www.ledevoir.com

L’économie sociale se développe localement, mais elle ne reste pas dans son coin. Ses acteurs se concertent et se consolident dorénavant à l’échelle internationale. Avec leurs démarches axées sur les besoins des collectivités, ils demandent que les politiques publiques sortent ce modèle de la marge. Rencontre avec Nancy Neamtan, présidente du Chantier de l’économie sociale.

Montréal sera l’hôte du Forum international de l’économie sociale et solidaire (FIESS), du 17 au 20 octobre prochain. Des organismes originaires de tous les continents y seront attendus, comme la Banque africaine de développement (BAD) et la Banque interaméricaine de développement (BID). L’Organisation internationale du travail (OIT) et l’Organisation de coopération et développement économ-iques (OCDE) figurent parmi les partenaires stratégiques de ce forum.

Nancy Neamtan, présidente-directrice générale du Chantier de l’économie sociale, explique que l’un des principaux intérêts de ce forum réside dans la visibilité qui sera donnée à ce modèle de rechange au capitalisme néolibéral. Dans les années 1980, «personne ne nous prenait au sérieux», se remémore-t-elle, jusqu’à ce que s’organise, dans cette décennie, un colloque sur le sujet réunissant des partenaires venus d’une multitude de pays de l’OCDE. «Ici, on a commencé les politiques de développement local à partir de ce moment-là», évoque-t-elle.

Mais, au-delà de la visibilité, Nancy Neamtan note que ce genre de rencontre répond à «un enjeu d’apprentissage». On passe le mot et on s’inspire. Le succès de différentes initiatives de développement économique, toujours élaborées avec un objectif à caractère social, peut être partagé et ensuite adapté dans une autre réalité géographique. Nancy Neamtan évoque le concept de cuisine collective, un phénomène qui prend de plus en plus d’ampleur au Québec et qui tire ses origines de l’ingéniosité de groupes de femmes péruviennes. «Ici, on est très fier: on a un réseau de crédit communautaire et de microcrédit. On ne l’a pas inventé ici. Le microcrédit au Québec et le microcrédit au Bangladesh, on s’entend que ça ne se vit pas de la même façon. Mais il y a un certain nombre de principes qui demeurent dans le processus», prend-elle pour exemple.

Et il y a aussi les recettes qui auraient eu avantage à être davantage copiées, comme les coopératives d’habitation, qui n’ont mené à aucune faillite en 30 ans au Québec. «Imaginez si les États-Unis avaient pris cette option, s’est exclamée Nancy Neamtan devant des représentants américains de l’ONU, lors d’une rencontre tenue à Genève, plutôt que de laisser le marché s’occuper de ça, de prêter de l’argent à des gens qui n’avaient pas les moyens de s’acheter une maison, avec les résultats que l’on connaît.»

S’articuler mondialement

Pour rivaliser avec la mondialisation néolibérale, l’économie sociale commence donc à s’articuler dans une perspective internationale. D’abord, le vocabulaire a été uniformisé puis adopté par des organismes comme l’OIT et l’OCDE. «À partir du moment où l’on a commencé à utiliser l’économie sociale comme concept parapluie, […] qu’on s’est basé sur un vocabulaire commun, ça nous a permis de faire des choses qu’on ne pouvait pas faire auparavant», note la présidente du Chantier de l’économie sociale.

Bien que l’économie sociale mise sur les besoins des collectivités, certains produits ne peuvent être obtenus au Québec que grâce à une certaine mondialisation des échanges. «On ne dit pas qu’il ne faut jamais exporter et importer. Sinon, ça voudrait dire qu’on mangerait des patates et des carottes pour le restant de nos jours et qu’on n’aurait jamais de tee-shirt de coton», admet celle qui fait la promotion d’une économie plurielle. C’est pourquoi, dans une logique d’achat socialement responsable, le Chantier de l’économie sociale travaille actuellement sur une plateforme transactionnelle iconoclaste qui se nommera Commerce-solidaire. Cette innovation «va faire en sorte que ceux qui veulent acheter aux entreprises d’économie sociale vont avoir une façon de les trouver».

À une échelle beaucoup plus vaste, cette plateforme s’inspirera de celle mise en branle par william.coop. Cette coopérative réunit plusieurs centres de la petite enfance (CPE) afin d’améliorer leur pouvoir d’achat. Ainsi, par exemple, ce regroupement peut mieux négocier les prix avec le fournisseur lorsque vient le temps d’acheter de la crème solaire en «quantité industrielle». Mais, cette fois-ci, les ententes se feront entre différents réseaux d’économie sociale à travers le monde.

«Quand on fait des affaires avec le Brésil, ce n’est pas juste de lui vendre des produits, c’est aussi que le Brésil puisse vendre ses produits ici et que ça se fasse dans une chaîne solidaire, sans trop d’intermédiaires. Donc, on innove dans les possibilités du commerce international», fait remarquer Nancy Neamtan.

Politiques publiques

Reconnaissant que «la balle est en partie dans notre camp» en ce qui concerne l’innovation, Nancy Neamtan en appelle tout de même à l’élaboration de politiques publiques qui favoriseraient davantage le développement de l’économie sociale. Cette question sera d’ailleurs au centre des débats au Forum international de l’économie sociale et solidaire cet automne, alors que des ministres québécois comme africains seront présents. «Si on est arrivé au système économique [néolibéral] qu’on a, c’est parce qu’il y a eu des évolutions et aussi des politiques publiques, un encadrement des États au niveau international qui allait dans ce sens, justifie-t-elle. La notion de responsabilité sociale, par la force des choses, commence à être sur la table, sauf qu’on ne réfléchit pas sur les modes de gestion.»

La présidente du Chantier de l’économie sociale constate que le paradigme actuel s’avère difficile à changer. «Quand on regarde les stratégies économiques, on met beaucoup l’accent sur les exportations, tandis que, si on prend le point de vue du développement durable, de plus en plus on parle d’une démarche de circuit court.»

Rencontrée le lendemain du dépôt du budget provincial, Nancy Neamtan affichait clairement sa déception. «Les exercices budgétaires, c’est toujours un peu binaire. […] Il y a juste une façon de faire ou l’autre; c’est soit l’État, soit le privé à but lucratif. […] On se met devant des constats et on sort les vieilles solutions, s’indigne-t-elle. Moi, ce que je trouvais désolant, c’est que même la réaction de l’opposition était simplement de dire: “Vous n’avez pas assez coupé. Vous avez perdu le contrôle.” Mais il n’y a pas de débat sur la façon dont on pourrait faire les choses autrement.»

Selon elle, l’enjeu de l’innovation sociale s’avère «fondamental, parce qu’on ne sortira jamais du cercle vicieux dans lequel nous sommes, tant qu’on continue à s’appuyer sur le même modèle de développement et à équilibrer les budgets avec ça».